Accueil -> Enquêtes sur la disparition des Romanov

 

Selon la thèse officielle, tous les membres de la famille Romanov ont été massacrés dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918 à Ekaterinbourg. Très vite, cette version devient contestée par de nombreux enquêteurs. Si tout le monde s'accorde à dire que le Tsar a bel et bien été tué, ce ne serait pas le cas pour sa femme et ses enfants. Dès lors, des thèses plus ou moins crédibles circulent affirmant la survie d'un ou plusieurs membres de la famille Romanov. Parmi toutes ces thèses, un nom revient souvent : Anastasia. La plus jeune des filles Romanov aurait-elle survécu au drame ? Que sont devenues sa mère et ses sœurs ?
 

Dans les jours qui suivent l'assassinat des Romanov, la mort de Nicolas fait la une de tous les journaux. On peut lire notamment : « Par cet acte de châtiment révolutionnaire, la Russie soviétique a donné un avertissement solennel à tous les ennemis qui rêvent du rétablissement du vieux tsarisme, ou même qui osent lui porter atteinte les armes à la main ». L'article précise par ailleurs que « la femme et le fils de Nicolas Romanov ont été mis en lieu sûr ». Ainsi, la première version des bolcheviques est que seul le Tsar aurait été exécuté. Qu'en est-il réellement ?

 

La remise en cause de l'enquête Sokolov

Le juge Nicolas Sokolov est l'enquêteur qui s'est vu confié pas les Blancs (les royalistes) l'enquête sur la disparition des Romanov. Il a très vite conclu à l'assassinat de toute la Famille impériale... Peut-être trop vite selon ses détracteurs ! En 1924, il publie ses conclusions dans un ouvrage « Enquête judiciaire sur l'assassinat de la Famille impériale russe » où il ne laisse aucun doute quant au destin du Tsar et des siens : absolument personne n'a survécu au drame. Cette conclusion aussi tranchée est très étonnante lorsque l'on sait que le juge n'a retrouvé aucun corps. Sokolov trouve cependant une explication : les corps auraient été dissous dans de l'acide, puis les restes brûlés et dispersés aux quatre vents. Cette explication ne tient cependant pas : il est impossible de détruire complètement des corps de cette manière à l'air libre, et notamment les dents. Or, aucune dent n'a été retrouvée alors que onze corps sont censés avoir été détruits. Les seules preuves matérielles qu'il retrouve sur le lieu de la « destruction » des corps démontrent bien qu'il y a eu un meurtre, mais elles ne peuvent en aucun cas montrer que tous les Romanov ont été tués. En effet, les enquêteurs remontent du puits de mine un doigt de femme, des lambeaux de peau, une boucle d'oreille, quelques dents artificielles, des restes de bijoux, six baleines de corsets, un dentier, des boutons et d'autres menus objets. Mais aucun corps.

L'absence de corps ne démonte cependant pas l'argumentation du juge et il reconstitue les pièces du puzzle à l'aide de ces objets. Pour lui, la présence des six baleines de corsets calcinées démontre que six femmes ont bien été tuées, à savoir l'impératrice, ses quatre filles et sa femme de chambre. Quant au doigt de femme, il appartiendrait à l'impératrice et le dentier au docteur Botkine. Surtout, il remonte du puits un chien : Jemmy, le Cavalier King-Charles d'Anastasia en bon état de conservation... Près d'un an après sa mort officielle ! Les partisans de la survie des femmes de la famille Romanov voient là une manipulation pour accréditer le massacre collectif : un an après sa mort, il ne devrait plus rester que des ossements du petit chien. Une explication autre que la manipulation peut cependant être apportée. En effet, l'enquête du juge Sokolov a débuté au printemps 1919, juste après la fin des gelées du long hiver sibérien. Or, le petit Jemmy se trouvait dans le puits de mine à moitié rempli d'eau, comme déjà énoncé dans la page consacrée au drame des Romanov. L'eau se serait donc tout naturellement transformée en glace, d'où le bon état de conservation du compagnon préféré d'Anastasia.

 

 
Cadavre de Jemmy, le petit chien d'Anastasia, retrouvé par le juge Sokolov au printemps 1919.
 
Le point le plus contestable de l'enquête Sokolov est le télégramme du 17 juillet 1918 envoyé à Moscou par Alexandre Biéloborodov, président du Soviet régional de l'Oural, et retrouvé par les troupes Blanches à Ekaterinbourg. Il s'agit d'un message codé constitué de chiffres et décrypté de cette manière : « Dire à Sverdlov que famille a subi le même sort que son chef officiellement famille mourra pendant évacuation ». Pour Sokolov, ce télégramme est la preuve la plus accablante du massacre de la Famille impériale par les révolutionnaires. Pourtant, on peut s'étonner que les bolcheviques aient laissé une telle preuve à la portée des enquêteurs. Summers et Mangold, dans leur ouvrage « Le dossier Romanov », estiment que ce télégramme est un faux et a été fabriqué par les troupes Blanches dans le but de discréditer les révolutionnaires. En outre, suite à des expertises graphologiques, les deux auteurs ont pu établir que la signature du télégramme n'est pas celle de Biéloborodov. Par ailleurs, les témoignages récoltés par Sokolov sur le déroulement de la nuit du 16 au 17 juillet 1918 sont souvent contradictoires. Ces éléments permettent, selon certains auteurs, à affirmer que l'enquête de Sokolov a été montée de toute pièce. Pour eux, tous les Romanov n'auraient pas été tués.

 

Les raisons de la survie d'une partie de la Famille impériale
 

Face à ces incohérences dans l'enquête Sokolov, on peut se demander si tous les Romanov ont bien été tués. Il est établi avec certitude que plusieurs proches de la Famille impériale ont été exécutés par les révolutionnaires, telle Élisabeth, la sœur d'Alexandra, ou Michel, le frère de Nicolas II. Il y avait donc une véritable volonté des communistes de mettre à mort tous les anciens symboles de la Monarchie. A partir de cette constatation, pour quelle raison les révolutionnaires auraient épargné une partie de la Famille impériale ?

Si l'Angleterre et la France ont refusé d'accueillir la Famille impériale sur leur territoire, l'Allemagne, en revanche, aurait essayé de sauver les princesses Romanov. En effet, tandis que les bolcheviques voulaient mettre fin coûte que coûte à la guerre contre l'Allemagne, l'empereur allemand Guillaume II aurait cherché à sauver sa cousine, l'impératrice Alexandra ainsi que ses enfants. Riezler, conseiller d'ambassade, à la suite d'un entretien avec Radek, chef du département des Affaires étrangères, écrit à Berlin : « Personnellement, Radek estime que si nous portons un intérêt particulier aux femmes de la Famille impériale qui sont d'origine allemande, elles pourraient être autorisées à quitter le pays ». Pour certains auteurs, la remise aux allemands de l'impératrice et de ses filles aurait été convenue lors du traité de Brest-Litovsk, qui a instauré une paix séparée entre l'Allemagne et la Russie soviétique. Cependant, on peut se demander si le Kaiser a vraiment agi pour sauver les Romanov. En effet, sur le front ouest, l'Allemagne subissait de plus en plus de défaites. A Berlin, la colère commençait à gronder face à cette guerre interminable. Du fait de tous ces événements qui ébranlaient la monarchie allemande, Guillaume II avait sans doute des préoccupations plus importantes que de sauver à tout prix la vie de sa famille russe.

 
 
L'empereur Guillaume II et les Romanov. Au second plan, de gauche à droite : Alexis, Guillaume II, Olga, Alexandra et Nicolas II. Au premier plan : Maria, Anastasia et Tatiana. L'empereur allemand, cousin de la Tsarine, a-t-il vraiment tenté de sauver Alexandra et ses quatre filles ?

Cependant, suite à des discussions, un membre du comité central propose d'échanger les femmes de la famille Romanov contre Karl Liebnecht, un chef révolutionnaire emprisonné par les allemands. Officiellement, les négociations prennent fin suite au massacre de la famille. Pourtant, en octobre 1918, Karl Liebnecht est libéré. Pour les théoriciens de la survie d'une partie de la famille Romanov, ce geste ne peut être lié qu'à la libération secrète d'Alexandra et de ses filles. Elles auraient ainsi constitué « le premier échange Ouest-Est de l'histoire » selon les termes de Marc Ferro. Cependant, rien ne peut affirmer que Karl Liebnecht ait bien été échangé contre des membres de la Famille impériale.

 

Le silence de l'impératrice et de ses filles
 

Le traité de Brest-Litovsk a été très critiqué par les socialistes révolutionnaires qui voyaient là une énième trahison du gouvernement envers les paysans. C'est dans ce contexte que le comte Mirbach, l'ambassadeur d'Allemagne à Moscou, est assassiné par les socialistes révolutionnaires le 6 juillet 1918. Dès lors, le nouveau gouvernement communiste est confronté à une double menace : l'Allemagne à l'extérieur et les socialistes révolutionnaires à l'intérieur. En effet, si les socialistes révolutionnaires se montraient de plus en plus hostiles à la politique de Lénine, le récent assassinat de l'ambassadeur allemand pouvait servir de prétexte à l'Allemagne pour envahir la Russie soviétique. Cependant, Lénine avait encore une carte à jouer : celle des Romanov. En libérant l'impératrice et ses filles (« les princesses allemandes » comme les appelle l'ambassadeur d'Allemagne à Moscou), les bolcheviques pouvaient espérer éviter des représailles de l'Allemagne. Mais c'est sans compter sur le fait que les socialistes révolutionnaires, les ennemis de l'intérieur, réclamaient l'exécution de Nicolas II et de toute sa famille. Face à ce dilemme, une solution s'imposait : sauver l'impératrice et ses filles pour satisfaire les allemands et éviter des représailles, mais garder cette libération secrète pour ne pas provoquer la colère des socialistes révolutionnaires.
Cette hypothèse reviendrait à une véritable trahison de la part de Lénine, qui aurait en secret épargné une partie de la famille du « bourreau couronné ». Mais cette solution n'était pas seulement inadmissible pour les bolcheviques, elle l'était également pour les Blancs. En effet, le sauvetage d'une partie de la famille Romanov par l'Allemagne, patrie d'origine d'Alexandra, aurait confirmé qu'il existait un lien entre la Famille impériale et l'ennemi allemand. En outre, la mort de tous les Romanov servait plus aux Blancs que leur survie : les bolcheviques devenant ainsi des monstres qui n'hésitaient pas à tuer des enfants pour asseoir leur pouvoir. D'ailleurs, Wilton, un partisan des Blancs, dit un jour au député français Lasies : « Commandant Lasies, même si le Tsar et la Famille impériale sont vivants, il est nécessaire de dire qu'ils sont morts ». Au besoin, les Blancs étaient prêts à trafiquer les indices pour arriver à la conclusion du massacre et ainsi discréditer définitivement le régime communiste aux yeux du monde entier.

Si l'impératrice et ses filles ont effectivement survécu, il est cependant très étonnant qu'aucune d'elles n'ait jamais revendiqué son identité, mise à part Anastasia. Les auteurs qui croient en la survie des cinq femmes se sont penchés sur la question et expliquent ce silence par la peur de représailles.
 
Lénine a-t-il permis la libération secrète de l'impératrice et ses filles ?
En effet, beaucoup de membres de la Maison impériale ayant été tués par les bolcheviques, l'impératrice et les Grandes-duchesses auraient préféré garder le silence à jamais plutôt que de subir le même sort funeste. Mais cette explication n'est pas très convaincante : les bolcheviques n'avaient aucune raison de pourchasser et tuer la femme et les filles du Tsar puisque ce sont eux qui les auraient libéré. En outre, l'impératrice douairière Marie Feodorovna et les Grandes-duchesses Olga et Xénia Alexandrovna, la mère et les sœurs de Nicolas II, ont toutes les trois réussi à prendre le chemin de l'étranger. Or, aucune représaille n'a jamais été diligentée contre elles par les bolcheviques. Pourtant, étant femme et filles de Tsar, elles représentaient le même symbole que l'impératrice Alexandra et ses quatre filles. De ce fait, si le silence des cinq femmes était nécessaire les premières années de leur exil, il ne l'était plus les décennies suivantes, les principaux protagonistes de la « disparition/évasion » des Romanov étant décédés (Lénine, Sverdlov et Yourovski notamment). Selon les théoriciens de la survie d'une partie de la Famille impériale, les Grandes-duchesses ne seraient décédées que dans les années 1970-1980. Or, comme démontré précédemment, elles n'avaient aucune raison de se taire aussi longtemps. Vraisemblablement, les femmes de la famille Romanov n'ont pas vécu aussi longtemps que certains veulent bien le prétendre...

Cette constatation peut paraître assez étonnante car, comme nous l'avons vu, Lénine avait toutes les raisons d'épargner l'impératrice et ses filles. En outre, sous l'impulsion de Trotsky, il était prévu de conduire le Tsar à Moscou afin de le juger publiquement et de l'exécuter. Cependant, c'est sans compter sur les événements qui se déroulaient dans l'Oural en juillet 1918. Les troupes royalistes gagnaient du terrain, les révolutionnaires battaient en retraite. Le bastion bolchevique de l'Oural, Ekaterinbourg, était de plus en plus menacé par les contre-révolutionnaires. Or, c'est dans cette même ville que la Famille impériale était emprisonnée. Il n'était alors plus envisageable de conduire les Romanov à Moscou, car l'armée tsariste était en marche pour délivrer Nicolas II et sa famille. Pour les communistes, il n'y avait plus que deux issues possibles : soit laisser les Romanov aux mains des Blancs, ce qui était inconcevable, soit tous les exécuter. Officiellement, c'est la deuxième solution qui a été choisie. Cependant, une autre piste a été ouverte par certains enquêteurs : celle de Perm. A ce sujet, la femme du soldat Ivan Gouchtchine rapporte : « Dans la nuit du 17 juillet, un chauffeur avait conduit le Tsar à la gare. De là, on l'avait expédié à Perm dans le but de le remettre aux mains des allemands ».

 

La piste de Perm

 
Centre-ville de Perm.

La piste du transfert d'une partie de la Famille impériale à Perm le 17 juillet 1918 a été corroborée par plusieurs témoignages. Un mystérieux train aurait notamment été aperçu en gare d'Ekaterinbourg II le 17 juillet. Officiellement, il contenait de l'or qui devait être évacué vers Perm afin d'éviter que les troupes blanches, qui s'approchaient de plus en plus d'Ekaterinbourg, ne mettent la main sur ces richesses. Cependant, pour certains, cet « or » ne serait qu'un nom de code pour désigner les membres survivants de la Famille Romanov. Sir Charles Eliott, haut-commissaire britannique en Sibérie, écrit au Foreign Office : « Dans la nuit du 16 juillet 1918, un train aux fenêtres soigneusement fermées et voilées quitta Ekaterinbourg à destination de Perm... Il y a tout lieu de croire qu'il transportait les membres survivants de la famille impériale... ». Cette même information est rapportée par Fedor Ivanov, un coiffeur situé à proximité de la gare d'Ekaterinbourg, mais aussi par deux cheminots, Alexandre Samoïlov et Mikhaïl Lozovski.

Cette thèse du transfert de la Famille impériale en train vers Perm est appuyée par plusieurs auteurs, tels Anthony Summers et Tom Mangold, ou plus récemment par Marc Ferro et Michel Wartelle. En revanche, pour l'historien Nicolas Ross, si ce train mystérieux transportait bien des prisonniers, il ne s'agissait pas des Romanov, mais d'une partie de leurs domestiques qui ont été emprisonnés à l'écart de la Famille impériale. Il s'agissait plus particulièrement d'Alexis Volkov, de la comtesse Anastasia Gendrikova, de Catherine Schneider et des membres d'une mission Serbe, avec à sa tête la princesse Hélène de Serbie. Après le massacre des Romanov, les douze prisonniers ont été transférés à Perm où ils ont tous été exécutés dans la nuit du 22 août 1918, à l'exception d'Alexis Volkov qui a réussi à s'enfuir. Cette hypothèse semble tout à fait crédible et expliquerait donc la présence de ce train en gare d'Ekaterinbourg.

Ernest de Hesse-Darmstadt, frère de l'impératrice Alexandra.

A l'automne 1918, le frère d'Alexandra, Ernest de Hesse-Darmstadt, envoie un télégramme à sa famille de Suède destiné en réalité à sa sœur Victoria, marquise de Milford Haven, à défaut de pouvoir communiquer directement avec elle (Ernest étant prince allemand et Victoria étant marquise anglaise). La Suède se charge donc de transmettre l'information à Victoria : « Ernie vient de télégraphier qu'il a appris de deux sources dignes de foi qu'Alix et tous les enfants sont vivants ». En outre, sur la question du sort des Romanov, Tchitchérine, commissaire aux affaires étrangères, répond : « Pour autant que je sache, la Tsarine et ses filles ont été emmenées à Perm. ».

A Perm, plusieurs personnes affirment avoir vu vivantes l'impératrice et ses quatre filles, détenues dans la maison Berzine dans des conditions bien plus horribles qu'à Ekaterinbourg. Venue retrouver son mari, la femme d'un garde rouge, Glafira Malicheva témoigne : " [...] J'ai vu une jeune fille descendre l'escalier : pas grande, plutôt de taille moyenne, avec les cheveux coupés et des lunettes à monture dorée, des cheveux blonds avec un reflet roux. Elle était maigre, pâle, elle semblait éreintée et en mauvaise santé. Elle est passée très vite..."

Selon elle, il s'agissait à n'en pas douter de l'une des filles de Nicolas II. Deux points permettent cependant de remettre en cause ce témoignage : aucune des quatre sœurs ne portait de lunettes et aucune d'elles n'était blonde avec des reflets roux.

 

La fuite d'Anastasia

Alors que l'impératrice et ses filles seraient détenues à Perm, l'une d'elles tente de s'évader : il s'agit d'Anastasia. Elle est rattrapée par les Rouges, battue et sans doute violée. Pavel Outkine, le médecin chargé de soigner la blessée, témoigne : « Moi, docteur Outkine, fus appelé d'urgence, le soir, vers 5-6 heures pour une aide médicale. Entrant dans le local, je vis sur le divan, à demi consciente, à part, une jeune fille, bien en chair, les cheveux ras. Auprès d'elle se trouvaient quelques individus […]. Parmi tous ces hommes, il y avait aussi une femme, de 22-24 ans environ, modérément nourrie, blonde. A ma demande, tous les hommes s'éloignèrent. La femme resta, expliquant que, femme, elle ne pouvait gêner. Moi, médecin, je sentis très bien qu'elle jouait un rôle de mouchard. A la question : « Qui êtes-vous ? », la malade leva la tête et dit tout doucement : « Je suis la fille du souverain, Anastasia. » Puis elle perdit connaissance. »

Pour le docteur Outkine, cette jeune fille ne pouvait être qu'Anastasia. Lors de son enquête, Sokolov présente à Outkine quatre photographies représentant Anastasia seule ou en groupe. Il ne reconnut pas Anastasia sur une photo de 1916, où elle posait seule. Il désigna deux fois Tatiana à la place d'Anastasia sur des photos de groupe, alors que les deux sœurs ne se ressemblaient pas du tout. Il ne désigna donc correctement Anastasia qu'une seule fois, sur la quatrième photo. Face à cette constatation, on peut honnêtement douter que le docteur Outkine ait bien soigné la quatrième fille du Tsar. Enfin, il est à noter que lors de son interrogatoire par les enquêteurs, Outkine avait un comportement proche de l'hystérie. Peut-être essayait-il en réalité de se convaincre lui-même qu'il avait eu l'honneur de soigner une Romanov...

En relisant sa déposition, le docteur Outkine a précisé que la jeune femme n'avait pas dit « Je suis la fille du souverain, Anastasia », mais « Je suis la fille du chef, Anastasia ». Selon certains auteurs, c'est cette même personne qui serait réapparue à Berlin sous les traits d'Anna Anderson, la célèbre femme qui proclamait être Anastasia... Cependant, Constantin Savitch tranche clairement la question et prouve que la jeune femme arrêtée par les gardes rouges dans la forêt n'était en aucun cas la quatrième fille de Nicolas II : « Les bruits qui circulaient au sujet de la survivance des Grandes-duchesses furent particulièrement persistants. Il faut certainement chercher leur origine en Russie. C'est de là qu'ils pénétrèrent en Europe. La Grande-duchesse Hélène Pétrovna a raconté personnellement à la princesse Orlov-Davidov que, pendant son incarcération à Perm, le chef de la prison lui avait amené une jeune fille dont le nom véritable était Anastasia Romanov, pour qu'elle constatât si c'était bien la Grande-duchesse Anastasia, car on disait qu'elle avait pu prendre la fuite. On découvrit que la jeune fille en question était la fille du chef de la gare d'une petite station de chemin de fer ». De quoi casser le mythe de la fuite d'Anastasia...

Quoi qu'il en soit, à partir de cette date, il n'y aurait plus que quatre femmes détenues à Perm : l'impératrice et ses trois filles aînées.

Anastasia n'est donc pas la jeune femme capturée à Perm.

Une infirmière témoigne : « Il y avait quatre matelas par terre, sur lesquels étaient allongées la tsarine et trois de ses filles, dont deux avaient les cheveux coupés et portaient des fichus. L'une des filles était assise sur sa paillasse. J'ai noté qu'elle regardait mon frère avec mépris. Sur les matelas, en plus des oreillers, il y avait des capotes militaires et, sur celui de la Tsarine, il y avait un petit coussin en plus de la capote ». Mais quel crédit apporter à ce témoignage ? En effet, selon Marcel Godfroid, cette infirmière serait « une cocaïnomane notoire […] (qui) recevait sa drogue des enquêteurs pour prix de ses informations ». Ce témoignage est donc, encore une fois, à prendre avec précaution. La piste de Perm s'arrête ici.
 

Et Après ?

 
L'impératrice et ses filles en 1913. De gauche à droite, Olga, Tatiana et Anastasia. Au premier plan, Alexandra et Maria. Que sont-elles devenues après la "piste" de Perm ?
 
Il faudra attendre les révélations d'un certain Alexis Durazzo, prince d'Anjou, avant de savoir ce que sont devenues les « survivantes » de la maison Ipatiev après leur détention à Perm. En effet, à la mort de sa grand-mère en 1970, celle-ci lui aurait confié son testament à n'ouvrir que dix ans après sa mort. A son ouverture, on apprendra qu'elle prétendait être en réalité la Grande-duchesse Maria Nicolaïevna, la troisième fille du tsar Nicolas II. Suite à l'exécution de Nicolas II et d'Alexis, l'impératrice et ses filles auraient été transférées à Perm et incarcérées dans la maison Berzine. Au mois de septembre, les prisonnières sont séparées : tandis que Maria et Anastasia sont toujours détenues dans la maison Berzine, Alexandra, Olga et Tatiana sont internées dans un couvent des environs de Perm. A la mi-septembre, Anastasia s'enfuit et Maria se retrouve donc seule dans la maison Berzine. Sur les ordres de Biéloborodov, la jeune fille est autorisée à rejoindre sa mère et ses deux sœurs. L'incarcération de l'impératrice et de ses trois filles aînées à Perm s'achève le 6 octobre 1918. Biéloborodov annonce aux quatre femmes qu'elles seront transférées à Moscou, mais qu'elles doivent se séparer pour faciliter le transport. Après des supplications, Alexandra est autorisée à voyager avec Tatiana. Olga et Maria sont donc contraintes à voyager seules. Avant de se séparer, Maria aurait dit à Olga en anglais : « Qu'importe à présent. Plus rien de pire ne peut arriver. Que la volonté de Dieu soit faite ! »

Après leur départ de Perm, Alexandra se serait retirée dans un couvent à Florence (en Italie) et y meurt en 1942. Olga aurait vécu sous le nom d'emprunt Marga Boodts et meurt en 1976 en Italie, sans aucune descendance. Après son évacuation vers la Roumanie, Maria épouse le prince Nicolas Dolgorouky en 1919, avec qui elle aura deux filles : Olga-Béata et Julia-Yolande. Elle meurt en 1970 des suites d'un cancer des intestins. Tatiana aurait été évacuée vers l'Angleterre et aurait pris le nom de Marguerite Lindsay. Dès lors, on perd la piste de la jeune femme. Quant à Anastasia, elle serait devenue Anna Anderson, l'inconnue de Berlin. Pour en savoir plus sur le destin de ces femmes, des pages leurs sont consacrées un peu plus haut.
 
 
Les Grandes-duchesses "Maria" (au centre) et "Olga" (à droite), respectivement grand-mère et grand-tante d'Alexis Brimeyer (alias Alexis Durazzo) vers 1958 à Antibes. En réalité, il y a tout lieu de croire que ces femmes sont en fait ses tantes ou grands-tantes Brimeyer plutôt que les filles du Tsar.
 

Alexis Brimeyer (1946-1995), alias Alexis Durazzo, est un mystificateur qui s'est fait passer pour le petit-fils de Maria Nicolaïevna.

Malgré les récentes découvertes, cette thèse est encore défendue par quelques historiens, tels Marc Ferro ou Michel Wartelle. Comme démontré tout au long de cette page, la théorie de la survie des femmes de la famille Romanov souffre cependant de nombreuses lacunes. En outre, si le testament de la grand-mère d'Alexis Durazzo a été constaté par acte notarié, rien ne prouve qu'il a bien été rédigé par la troisième fille de Nicolas II. Par ailleurs, Alexis Durazzo (« Moi, Alexis, arrière-petit-fils du Tsar ». Fayard, 1982) dévoile l'histoire de sa « grand-mère » après la sortie du célèbre ouvrage d'Anthony Summer et Tom Mangold (« Le dossier Romanov ») qui rassemble une quantité impressionnante de documents semblant prouver la survie des femmes de la Famille impériale. A partir de ces documents, il était aisé pour cet « héritier » de construire une histoire plausible.

L'élément qui vient mettre un point définitif à l'histoire de ce « petit-fils » de la Grande-duchesse Maria est l'identité même de cet homme : Alexis Durazzo s'appelait en réalité Alexis Brimeyer, un citoyen belge connu pour avoir usurpé de nombreux titres européens. Il s'est ainsi proclamé prince d'Anjou Durazzo (par son père) et prince Romanov-Dolgorouky par ses « grands-parents » : Maria Nicolaïevna (troisième fille de Nicolas II) et Nicolas Dolgorouky (prince Dolgorouky).
Or, comme Maria, Nicolas Dolgorouky a été exécuté par les bolcheviques lors de la révolution. En 1992, Alexis Brimeyer s'est également proclamé héritier du trône de Serbie. Il décède à Madrid, en 1995. Au final, ce « petit-fils » de Maria n'était sans doute qu'un mystificateur. Pourtant, quelques historiens le reconnaissent encore comme un descendant de Nicolas II. Rien de bien sérieux...
 

L'absence de ressemblance avec les filles de Nicolas II ?

La ressemblance entre ces prétendantes et les filles de Nicolas II est une question essentielle qui est pourtant occultée par la plupart des ouvrages sur le sujet. Nous possédons les photographies de trois femmes qui seraient en réalité Olga, Maria et Anastasia selon certains auteurs, tels Marc Ferro et Michel Wartelle. Cependant, force est de constater que la ressemblance entre les trois femmes et les Grandes-duchesses n'est pas frappante. Les épreuves de la vie changent physiquement une personne, mais les traits fondamentaux demeurent. Or ici, les « survivantes » de la Famille impériale ne ressemblent pas vraiment aux filles du Tsar. Bien plus fiables que des témoignages, les photographies semblent prouver, à mon sens, que ces femmes ne peuvent pas être les quatre sœurs Romanov... Je vous laisse ici vous faire votre propre opinion sur le sujet.


 

 
Marga Boodts et Olga Nicolaïevna. Les mémoires de Marga Boodts ont été retrouvées en 2012 dans les archives du Vatican par la journaliste américaine Marie Stravlo et publiées en espagnol sous le titre « Je suis vivante : les mémoires inédites de la dernière Romanov ». Ces mémoires devraient être traduites prochainement en français.


 

 
Cécile Czapska et Maria Nicolaïevna. La "comtesse Czapska", puis Di Fonzo, est la grand-mère d'Alexis Brimeyer, un célèbre mystificateur du XXème siècle. Il prétendait que sa grand-mère était en réalité la grande-duchesse Maria. Mais dès lors, quel crédit donner à ses allégations ?
 
 
Anna Anderson et Anastasia Nicolaïevna. Anna Anderson est la femme qui a rendu célèbre Anastasia en se proclamant être la quatrième fille de Nicolas II. C'est sans doute la prétendante qui a rassemblé le plus de partisans au cours du XXème siècle, alors même que sa ressemblance avec Anastasia n'est pas frappante. En effet, elle ressemblait plus à Tatiana, sans toutefois posséder sa beauté. En 1994, les tests ADN ont finalement prouvé qu'Anna Anderson n'était pas Anastasia, ni même un membre de la famille Romanov.
 


 



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