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« Elle aimait parler avec tout le monde, et plus spécialement avec les gens ordinaires et les soldats. Elle avait beaucoup de sujets de discussion en commun avec eux : les enfants, la nature, les parents... Elle était le cœur et l'esprit de la famille ».

~ Klavdia Bitner, professeur des enfants impériaux. ~




 

Au début de l'été 1899, l'impératrice Alexandra se reposait au Palais Péterhof. Elle attentait la venue au monde de son troisième enfant. Après deux magnifiques petites filles, tout le monde espérait la naissance d'un fils, héritier du trône de Russie. Cette troisième grossesse fut pour la jeune maman beaucoup plus éprouvante que les deux précédentes et due rester alitée de nombreuses semaines. Le 26 juin 1899 (le 14 juin selon l'ancien calendrier), l'impératrice mit enfin au monde son troisième enfant. L'accouchement fut très difficile, mais fort heureusement, la jeune maman et le nouveau bébé allaient bien. La joie des proches de la Famille impériale fut très vite remplacée par une profonde déception : c'était encore une fille ! Même Nicolas, pourtant très bon père et très bon époux, ne put cacher sa déception.
Tout de même, Nicolas écrit dans son journal : « Un jour heureux : Le Seigneur nous a envoyé une troisième fille – Maria, qui est née en bonne santé à 12h10 ! Alix a mal dormi cette nuit et, au petit matin, les douleurs se sont intensifiées. Dieu merci, tout s'est fini assez rapidement ! Ma chérie s'est sentie bien toute la journée et a nourri le bébé elle-même. Maman est arrivée de Gatchina à 16 heures. La famille s'est réunie à l'église pour un Te Deum. J'ai pris le thé avec Mama, j'ai écrit des télégrammes et je suis sorti prendre l'air après le dîner – la soirée était merveilleuse ».

Xénia Alexandrovna, la sœur de Nicolas, écrit : « Quelle joie que tout se soit bien passé et que l'attente soit enfin terminée. Mais quelle déception que ce ne soit pas un garçon. Pauvre Alix ! Quand bien, nous sommes tous réjouis – que ce soit un garçon ou une fille ! »

La déception qu'a provoqué la naissance de cette troisième petite fille se retrouve plus particulièrement dans le journal du Grand-Duc Constantin : « A 14 heures, j'ai reçu un télégramme : LA GRANDE-DUCHESSE MARIA NICOLAÏEVNA. Et donc, il n'y a pas d'héritier. Toute la Russie va être déçue par cette nouvelle ».

Une des nourrices des filles du Tsar, Miss Eagar, écrit à propos de Maria : « Elle est née, je pense souvent, avec la plus petite trace possible du péché originel. Le Grand-duc Vladimir l'appelle Le Bébé aimable, car elle est toujours aussi mignonne, souriante et gaie... Dernièrement, en parlant de l'enfant, un monsieur a dit qu'elle avait le visage d'un des anges de Botticelli. ».  Le bébé était en effet vraiment magnifique, avec de jolies joues roses et de beaux cheveux blonds. Ses yeux, d'un bleu profond, étaient si grands qu'on les appelaient dans la famille « les soucoupes de Marie ».

Les gouvernantes des Grandes-Duchesses étaient des personnes sévères auxquelles toutes les faiblesses n'étaient pas épargnées. Miss Eager avait une passion pour la politique et ne faisait que parler de l'affaire Dreyfus. La Grande-Duchesse Olga Alexandrovna, sœur de Nicolas II, raconte : « Un jour, elle oublia qu'elle avait laissé Maria dans son bain et commença à discuter de l'affaire Dreyfus avec une amie. Maria finit par sortir de sa baignoire et traversa plusieurs fois en courant le couloir du palais, toute nue et ruisselante d'eau. Par bonheur, j'arrivai à ce moment précis. Je pris Maria dans mes bras et j'allai la remettre à Miss Eager qui parlait toujours de l'affaire Dreyfus ».

Si Tatiana était la plus proche de l'impératrice, c'était Maria qui était sans nul doute la plus proche du Tsar. Depuis son plus jeune âge, Maria portait pour son père un grand amour. Un jour, alors qu'elle n'avait même pas deux ans, la jeune fille se mit à courir vers lui pendant un déjeuner, enlaça sa jambe et lui fit un grand sourire. La nourrice était venue en hâte récupérer la petite fille, mais le Tsar lui-même demanda d'apporter une chaise pour Maria : « Cela me touche de voir tant d'affection » a-t-il dit. Cette relation très forte entre Maria et son père perdurera jusqu'à la fin. Pendant la révolution, la jeune femme sera d'un très grand soutien pour son père.

Durant les premières années de sa vie, ses relations avec ses deux sœurs aînées étaient cependant beaucoup moins bonnes. Ces deux dernières étaient très heureuses toutes les deux et n'estimaient pas avoir besoin d'une autre sœur. Elles étaient même jalouses de l'attention que Nicolas et Alexandra portaient au nouveau bébé. Dans une lettre adressée à sa mère, Nicolas écrit que Maria marchait déjà très bien, mais que ses deux aînées poussaient délibérément la petite fille. En outre, Olga et Tatiana refusaient catégoriquement de jouer avec Maria et l'appelaient leur « demi-sœur », car elle était toujours sage et ne faisait jamais de bêtises.

En plus d'être une enfant très sage, Maria se préoccupait beaucoup des autres, et notamment de ses proches. Selon Miss Eager, alors qu'Anastasia venait de contracter la coqueluche (maladie hautement contagieuse), Maria s'est approchée de la petite fille et lui a dit « Bébé, chérie, tousse sur moi ». Très étonnée de cette réaction, Miss Eager demanda pourquoi elle avait demandé une telle chose. Maria répondit : « Je suis vraiment désolée de voir ma petite sœur chérie si malade, et j'ai pensé que si je pouvais lui prendre sa maladie, elle se sentirait mieux ».

 
Maria et Anastasia étaient, tout comme leurs deux sœurs aînées, les meilleures amies, et ce malgré leurs caractères très différents. En effet, si Anastasia était le véritable bout-en-train de la famille, Maria était au contraire la plus sage et la plus posée. Les deux jeunes filles étaient toujours joyeuses et s'entendaient très bien. Elles partageaient toutes les deux la même chambre au-dessus du boudoir de l'impératrice. Dans une lettre adressée à sa mère, Maria écrit : « Anastasia et moi n'avons aucun secret. Je n'aime pas les secrets », ce qui démontre bien la grande complicité qui unissait les deux sœurs.

Depuis son plus jeune âge, Maria, surnommée Mashka par sa famille, était une très belle fille et sa beauté s'est confirmée avec le temps. Même si Tatiana était considérée par ses contemporains comme la plus jolie fille du Tsar, avec des traits très allemands, Maria n'était pas en reste et était considérée comme une véritable « Beauté Russe ». Maria a toujours été grande pour son âge et était quelque peu potelée durant son enfance, mais s'est affinée avec le temps. En grandissant, elle est devenue également la plus coquette et la plus gaie des quatre sœurs.
Pierre Gilliard, le professeur des enfants impériaux, écrit : « C'était une belle fille que Marie Nicolaïevna, grande pour son âge, éclatante de couleurs et de santé ; elle avait de grands et magnifiques yeux gris. De goûts très simples, pleine de cœur, elle était la complaisance même ; ses sœurs en abusaient peut-être un peu et l'appelaient : « le bon gros toutou » ; elle en avait tout le dévouement bénévole et un peu pataud ».

Lili Dehn, demoiselle d'honneur de l'impératrice, écrit à propos de la Grande-Duchesse : « Maria était une fille formidable, elle possédait une force admirable et je n'avais jamais remarqué sa grande générosité jusqu'à ces jours terribles. Elle était également très jolie et possédait la beauté des Romanov : ses yeux bleus étaient ombragés par de longs cils, et elle avait une masse de cheveux bruns foncés. Marie était potelée et l'impératrice la taquinait souvent à ce sujet. Elle n'était pas aussi vive que ses sœurs, mais elle avait des positions beaucoup plus tranchées. La Grande-Duchesse Marie savait à la fois ce qu'elle voulait, et pourquoi elle le voulait ».

Bien que très gentille et très belle, Maria ne possédait pas l'élégance de ses sœurs aînées et était parfois maladroite. A ses seize ans, elle devait apparaître à un important dîner d’État. Lili Dehn rapporte qu'elle était vraiment très jolie dans sa robe bleue pâle, avec les diamants que ses parents lui ont offert pour son seizième anniversaire. Mais alors qu'elle arriva dans la salle et du fait de ses nouvelles chaussures à talons hauts, elle tomba et se rattrapa dans les bras d'un Grand-Duc. En entendant le bruit, Nicolas plaisanta et dit : « Bien sûr, c'est Marie... ».

De toutes les filles du Tsar, Maria était la moins à l'aise avec son rang de Grande-Duchesse. Elle avait des goûts très simples et aimait s'entourer de gens ordinaires. Elle connaissait les gardes et servants du palais par leurs noms, ainsi que les officiers et les marins du yacht impérial. L'occupation que Maria préférait c'était parler mariage et enfants. Ceux qui l'ont connue ont souvent répété que si elle n'était pas née sur les marches d'un trône condamné, cette fille si vivante et si chaleureuse aurait fait une épouse et une mère admirable.

Tout comme Olga et Tatiana, et suivant la tradition impériale, Maria a été nommée chef militaire du régiment du 9e dragon Kazanski en 1913. Elle possédait un uniforme qu'elle revêtait pour les revues militaires.

Maria était une jeune fille affectueuse et attachante. Elle est tombée amoureuse pour la première fois alors qu'elle n'avait que 11 ans. Ce fut également la première déception amoureuse de Maria, car selon l'impératrice, le jeune homme ne la voyait que comme sa petite sœur.

Un de ses cousins anglais, le prince Louis de Battenberg (plus tard Mountbatten), n'a pas pu résister au charme de Maria et ne l'a jamais caché. Louis est né le 25 juin 1900 au château de Windsor. Il est le second fils du prince Louis de Battenberg et de la princesse Victoria de Hesse-Darmstadt, la sœur aînée d'Alexandra Fedorovna. Depuis son plus jeune âge, Louis, surnommé Dickie par sa famille, était très proche des enfants de Nicolas II et d'Alexandra. Au fil de leurs visites mutuelles, son affection pour sa cousine Maria n'a cessé de croître. Il correspondait énormément avec elle et en tomba amoureux rapidement. De son côté, Maria était un peu réticente, le mariage entre cousins de premier degré étant interdit dans la religion orthodoxe. Cependant, elle n'a jamais caché son attachement pour son cousin anglais.


 

A gauche, Louis de Mountbatten, surnommé "Dickie", en 1920. A droite, photo de Maria (datant de 1914) que Louis conservera dans sa chambre jusqu'à son propre assassinat en 1979.
 

La guerre et pour finir la révolution russe viendra détruire toute possibilité d'union entre les deux adolescents. Louis ne se remettra jamais de la mort de Maria. En 1922, il épouse Edwina Victoria avec laquelle il aura deux filles. On dira leur union idyllique tant leurs relations étaient bonnes. Pourtant, il ne put jamais oublier son amour d'enfance et confia bien des années plus tard : "J'étais fou d'elle et déterminé à l'épouser. Vous ne pouvez pas vous imaginer une personne plus belle qu'elle." Il ajouta : « Elles (les filles du Tsar) étaient charmantes et très belles, bien plus que sur les photos. J'étais tombé sous le charme de Maria et déterminé à l'épouser. Elle était très adorable. Je garde sa photo sur la cheminée de ma chambre – toujours avec moi ». Et en effet, jusqu'à sa propre mort tragique en 1979, il conservera dans sa chambre une photo de sa cousine trop tôt disparue.

Avant que n'éclate la Première Guerre Mondiale, les deux sœurs aînées de Maria étaient devenues de belles jeunes femmes et étaient considérées comme un des meilleurs partis d'Europe. Maria était encore bien jeune pour se marier, mais elle suscitait déjà beaucoup d'attentions de par sa beauté. C'est pour cette raison que, repoussé par Olga, le prince Carol, héritier du trône de Roumanie, ne renonça par à l'espérance de s'unir à une Grande-duchesse de la famille Romanov. En 1915, il proposa au Tsar d'épouser Maria, à défaut d'Olga. Le Tsar repoussa la demande et répondit en riant : « Elle n'est qu'une écolière ». De son côté, Maria ne semblait pas non plus vouloir devenir la prochaine reine de Roumanie.

Durant la guerre, l'impératrice et ses filles allaient parfois rendre visite au Tsar et à Alexis au quartier général de Mogilev. Pendant ces visites, Maria est tombée amoureuse de Nicolas Dmitrievich Demenkov, un officier en poste au quartier général du Tsar. Lorsqu'elle était à Tsarskoie-Selo, Maria demandait souvent à son père de transmettre ses amitiés à Demenkov et signait parfois en plaisantant ses lettres adressées au Tsar par « Mme Demenkov. ». Lorsque Demenkov retournait parfois à Tsarskoie-Selo, Maria aimait se tenir sur le balcon de sa mère au Palais Alexandre afin d'être vue par Demenkov pour discuter un peu avec lui. Ses parents et ses sœurs aimaient bien la taquiner à ce sujet. Par exemple, Olga note dans son journal : « Demain Ania (Anna Viroubova) invite Victor Erastovitch et Demenkov pour prendre le thé (ainsi que nous tous). Maria est bien entendu extrêmement heureuse ! ». Elle ajoute : « Nicolas D. est en service. Maria fait énormément de bruit et crie depuis le balcon.». Anastasia écrit quant à elle : « Maria était très heureuse, car Demenkov était là quand nous sommes sortis de l'église... ».

Demenkov a par la suite été envoyé au front. Maria avait confectionné de ses propres mains une chemise qu'elle lui a envoyé. Ils ont également beaucoup discuté par téléphone et Demenkov lui a envoyé plusieurs photographies.

Cependant, les deux jeunes gens ne sont plus jamais revus. Suite à la Révolution, Demenkov a immigré en France, où il est mort en 1950 sans ne s'être jamais marié. Maria, quant à elle, disparut en Sibérie en 1918. La chemise faite par Maria pour Demenkov est aujourd'hui conservée au musée des officiers de la marine impériale russe.

Lorsque la guerre fut déclarée, Maria était une jeune fille de 15 ans et était donc trop jeune pour devenir infirmière. Cependant, elle voulait se rendre utile avec Anastasia. Elles sont donc devenues marraines d'un hôpital et rendaient souvent visite aux soldats, leurs tenaient compagnie, jouaient aux carte avec eux, leurs faisaient la lecture et leurs apportaient des fleurs. Maria a très vite appris le nom de chacun d'eux, ainsi que ceux de leurs femmes et de leurs enfants.

Lili Dehn écrit : « Quand j'ai rencontré pour la première fois la Grande-Duchesse Marie, elle n'était encore qu'une enfant. Mais pendant la Révolution, nous sommes devenues très attachées l'une à l'autre, et nous avons passé la plupart de notre temps ensemble. Elle était une fille merveilleuse et possédait une force extraordinaire, et je n'avais jamais remarqué sa grande générosité jusqu'à ces jours terribles ».

Lorsque la Révolution éclata finalement, Maria n'avait même pas encore 18 ans. Alors que les troubles révolutionnaires se faisaient de plus en plus présents à Saint-Pétersbourg (renommé Pétrograd en 1914), trois des enfants venaient d'attraper la rougeole. Olga et Alexis tombèrent malades en premier, le 8 mars 1917. Le lendemain c'est Tatiana et Anna Vyroubova, demoiselle d'honneur de l'impératrice, qui tombèrent malades à leur tour. Pendant ce temps, les soldats chargés de la Garde du palais à Tsarskoie-Selo se mutinaient. C'est dans la journée de 13 mars que Maria, qui était encore en pleine santé, fut d'une grande aide pour sa mère.

A 21 heures, l'impératrice apprit par un coup de téléphone que les rebelles s'étaient mis en marche, tandis qu'une garnison se tenait au milieu de la cour pour protéger le palais. Mue par une impulsion soudaine, elle décida de sortir avec Maria et de parler elle-même aux soldats.

La baronne de Buxhoeveden, qui regardait ce spectacle par sa fenêtre, écrit : « La scène était inoubliable. Il faisait nuit noire et pourtant une étrange clarté montait de la neige et se reflétait sur les canons des fusils. Les troupes étaient rangées en ordre de bataille, la première ligne avait un genou dans la neige, les autres se tenaient debout prêtes pour une attaque soudaine. J'apercevais les silhouettes de l'impératrice et de sa fille se glissant de rang en rang » pour encourager les soldats à protéger le palais et à sauver la vie de la Famille impériale.

Cette nuit a failli coûter la vie à la jeune Maria. Contrairement à ses sœurs, elle ne ressentait alors que les premiers signes de la maladie. Mais il ne s'agissait pas d'une simple rougeole. En effet, à cause du froid, Maria a en plus contracté une pneumonie et sa température s'élevait à 40°C. Pierre Gilliard note à ce sujet : « Seule Maria Nicolaïevna […] donnait encore de l'inquiétude. Elle était tombée malade beaucoup plus tard que ses sœurs et son état s'était aggravé par suite d'une pneumonie de nature fort pernicieuse ; son organisme, quoique très robuste, avait de la peine à reprendre le dessus. Elle était, d'ailleurs, victime de sa propre générosité. Cette jeune fille de dix-sept ans s'était dépensée sans compter pendant les journées révolutionnaires. Elle avait été le plus ferme soutien de sa mère. Dans la nuit du 13 mars, elle avait commis l'imprudence de sortir avec l'impératrice pour aller parler aux soldats, s'exposant ainsi au froid, alors qu'elle ressentait les premières atteintes de la maladie ».

L'état de santé de Maria était tellement préoccupant que le docteur Botkin demanda à Sophie Buxhoeveden de prévenir l'impératrice que sa fille ne survirait peut-être pas. Toute l'attention de la famille se reporta donc sur la jeune fille.

Maria voulait être la première à accueillir le Tsar pour son retour. Cependant, lorsque Lili Dehn est venue lui dire que son père venait d'arriver, la jeune femme était un plein délire à cause des médicaments. Pendant ses moments de lucidité, Maria dit à Lili : « Et bien, Lili, où étais-tu ? Je t'ai attendu, encore et encore. Papa est vraiment là, n'est-ce pas ? ». Après une nouvelle crise de délire, Maria ajouta : « Cette foule de personnes... Des gens terribles... Ils viennent tuer maman ! Pourquoi font-ils cela ? ».

Lili Dehn, qui est devenue très proche de Maria pendant les journées révolutionnaires, a consacré la plupart de son temps à rester au chevet de la jeune fille, à tour de rôle avec Alexandra. Elle épongeait le visage brûlant de Maria et quand cette dernière était consciente, elle aimait que Lili lui brosse les cheveux. En raison de sa maladie, Maria n'a pas pu dire au revoir à Lili lorsque celle-ci a été expulsée du Palais par le nouveau gouvernement provisoire. Avant de partir, Lili est venue embrasser une dernière fois la jeune Grande-Duchesse qu'elle ne reverra plus jamais. Grâce à son solide organisme, Maria a guéri de sa maladie. En réalité, c'était un tout autre destin qui l'attendait.


 

Assise dans le fauteuil, Maria se relève de la maladie en avril 1917. Elle est entourée d'Anastasia (à gauche) et de Tatiana (à droite).

 

La Famille impériale était à présent captive dans son propre palais. Puis, les Romanov ont été transférés à Tobolsk par le Gouvernement provisoire. Même si la vie était devenue pour Maria très ennuyeuse, elle ne s'est jamais plainte. Du fait de sa nature très simple, être entourée de sa famille lui suffisait amplement. Elle a même dit un jour à son professeur d'anglais, M. Gibbs, qu'elle serait très heureuse s'ils étaient autorisés à vivre à Tobolsk pour toujours.

Durant l'hiver 1917, les enfants ont attrapé la scarlatine et la température de Maria s'est élevée jusqu'à 39,5°C. Malgré toutes les épreuves que la jeune fille a enduré, sa beauté n'a cessé de croître. En effet, elle était devenue beaucoup plus mince et, après avoir été rasés au printemps 1917, ses cheveux repoussaient rapidement avec de magnifiques boucles. Le commissaire Pankratov était tombé sous le charme de Maria et aimait beaucoup discuter avec elle. En outre, tandis que les soldats du 2e régiment restaient hostiles à la famille impériale, ceux du 1er du 4e régiments commençaient à s'humaniser, surtout à l'égard des enfants. Maria, qui s'intéressait toujours à la vie des gens qu'elle rencontrait, eut très vite appris les noms des épouses et des enfants des soldats.
Les jours calmes et heureux passés à Tobolsk touchaient à leur fin. Il a été décidé que la famille devait être transférée dans un autre lieu. Cependant, Alexis était trop faible pour voyager du fait de sa précédente crise d'hémophilie. Il était donc prévu que seul Nicolas serait dans un premier temps transféré, et que le reste de la famille le rejoindrait plus tard. Pour Alexandra, il n'était pas envisageable de laisser partir Nicolas tout seul. Elle n'arrivait pas à se décider entre accompagner son époux qu'elle sentait en danger et s'occuper de son fils malade. Après une grande réflexion, elle décida de suivre Nicolas. L'impératrice désirant la présence avec elle de l'une de ses filles, les quatre sœurs s'étaient mises d'accord pour que Maria accompagne ses parents. Après avoir délibéré à la hâte, elles avaient conclu qu'Olga n'était pas assez en bonne santé pour s'exposer aux hasards d'un voyage aventureux, que Tatiana serait nécessaire à Tobolsk pour organiser la vie domestique et s'occuper d'Alexis et qu'Anastasia était trop jeune pour pouvoir être utile à sa mère. C'est donc Maria qui fut choisie. Consciente du danger qui l'attendait, Maria voulait probablement partager le sort des deux personnes auxquelles elle tenait le plus : son père et sa mère.
Ainsi, la jeune Grande-Duchesse, dont la naissance fut une grande déception pour tout le monde, était devenue une femme courageuse, qui n'a pas hésité une seule seconde à se sacrifier pour le bien-être de ses parents et de sa famille. Avant que la jeune fille ne quitte définitivement Tobolsk, Maria et Anastasia ont décidé de brûler leurs journaux intimes afin qu'ils ne soient pas lus.

Le départ de Maria et de ses parents fut très éprouvant pour le reste de la famille, car ils n'avaient jamais été séparés auparavant. Pierre Gilliard note : « A quatre heures, nous montons chez Leurs Majestés qui sortent à ce moment de la chambre d'Alexis Nicolaïevitch. L'empereur, l'impératrice et Marie Nicolaïevna prennent congé de nous. L'impératrice et les grandes-duchesses pleurent. ». A ce moment-là, personne ne connaissait la destination exacte du couple impérial et de leur fille Maria. Selon Pierre Gilliard, tout le monde pensait que la destination était Moscou.

La voyage de Maria et de ses parents fut très difficile. Il n'y avait pas de véhicule et ils ont voyagé, selon Pierre Gilliard, sur « d'horribles tarantass » : ce sont des voitures de paysans, formées d'une grande corbeille d'osier posée sur deux longs bâtons qui font office de ressorts. Il n'y a pas de sièges : ils étaient assis sur de la paille. Dans une lettre de Maria adressée à ses sœurs et à son frère, elle y indique que les chemins sont en très mauvais état et que les conditions de voyage sont terribles. Ils ont été obligés de changer de chevaux à plusieurs reprises, et à chaque fois Maria devait ajuster le couchage de sa mère. Cependant, elle avait tellement froid aux mains qu'elle devait constamment se réchauffer avant de pouvoir le faire. Une fois arrivés à Tioumen, les conditions de voyage de Maria et de ses parents se sont améliorées. En effet, ils continuèrent leur voyage en train, toujours en direction d'une ville inconnue. Maria y partageait sa cabine avec Anna Demidova. Pour leur plus grande surprise, leur destination n'était pas Moscou, mais Ekaterinbourg. Au début, Maria dormait dans la même chambre que ses parents et écrivait presque tous les jours une lettre pour ses sœurs et son frère. La plupart d'entre-elles n'arrivèrent jamais à destination. Une lettre de Maria, adressée au reste de sa famille, a cependant été retrouvée dans les affaires de la Famille impériale. Elle est datée du 10 mai 1918 :
« Notre vie calme à Tobolsk nous manque. Ici, pratiquement chaque jour apporte de mauvaises surprises. Les membres du soviet régional sont venus et nous ont demandé combien nous avions d'argent chacun sur nous. Nous avons dû signer un papier. Depuis, comme vous le savez, papa et maman n'ont plus un kopeck, ils ont écrit « rien », alors que j'avais 16 roubles et 17 kopecks qu'Anastasia m'avait donné pour le voyage. Ils ont pris l'argent de tous les autres pour le placer en lieu sûr avec le comité, leur en laissant seulement un petit peu – ils leurs ont donné des reçus. Ils nous ont mis en garde que nous ne sommes pas à l'abri de plus amples fouilles. Qui pourrait croire qu'ils nous traitent de cette façon après 14 mois de détention. Nous espérons que les choses vont mieux pour vous, comme elles l'étaient lorsque nous étions là-bas ».

Lorsque, après des semaines d'inquiétudes, ses sœurs et son frère sont arrivés à Ekaterinbourg, Maria donna son lit à Alexis et dormait comme ses sœurs par terre. Malgré ces horribles conditions de vie, Maria était restée fidèle à elle-même. Elle restait très amicale avec les gardes et les conquis grâce à son charme. Elle leurs montrait des photos de son album et discutait avec eux de leurs familles.
Même Yourovski, le chef de l'exécution des Romanov, a écrit dans ses mémoires que, contrairement à Olga qui souffrait d'une dépression et à Tatiana qui était toujours inquiète, Maria « ne se comportait pas comme ses sœurs aînées. Sa sincérité, son caractère modeste, étaient très attrayants pour les hommes, et elle passait la plupart de son temps à flirter avec eux. »

Un des gardes affirma que « Maria Nicolaïevna semblait la plus agréable... Si elle avait été bien nourrie et s'ils lui avaient permis de sortir, elle aurait été une vraie beauté russe, même si le sang qui coulait dans ses veines était plus allemand, danois et anglais que russe. Quand Maria Nicolaïevna souriait, ses yeux billaient d'un tel éclat que c'était très plaisant à voir. Son visage était souvent plus rose que ceux de ses sœurs. Son rire était si gai que c'était un plaisir de jouer et de plaisanter avec elle. On voyait une grande force de caractère germer en elle. Je me souviens qu'un jour, dans le jardin, elle saisit avec force une branche d'un grand arbre, où elle commença à sa balancer jusqu'à ce que Yourovski lui cria dessus avec colère : "Citoyenne Romanov, arrêtez d'endommager les arbres." ».

Yourovski note au sujet de Maria : « Elle n'était pas vraiment comme ses sœurs, elle semblait rejetée par la plupart des membres de sa famille. Cela était évidemment dû à ce qui venait de se passer. Sa mère et ses sœurs aînées la rejetaient, comme un paria. ». Cette déclaration de Yourovski est assez étonnante et l'on peut se demander pour quelle raison Alexandra, Olga et Tatiana étaient si en colère après Maria. En réalité, Maria était devenue très appréciée parmi les gardes. L'un deux, Ivan Skorokhodov, éprouvait une réelle affection pour elle, et réciproquement. Le jour du 19e anniversaire de Maria, le jeune homme a réussi à introduire clandestinement un gâteau dans la maison. Puis, ils ont disparu tous les deux pour discuter, mais ont été retrouvés par deux supérieurs du jeune soldat. Ivan a été immédiatement congédié et Maria a été sévèrement réprimée par sa famille. Selon les témoignages, Alexandra était très en colère contre sa fille. Quant à Olga, elle ne comprenait pas comment Maria pouvait s'entendre avec l'un de leurs ennemis. Depuis cet incident, Alexandra et Olga évitaient sa compagnie, et ce jusqu'au drame du 17 juillet.

Du fait de ces événements, les derniers jours de sa vie ont été probablement très éprouvants. Le 16 juillet 1918 fut certainement un jour très ennuyeux pour la jeune femme. Sans doute espérait-elle être libérée rapidement avec sa famille, partir pour l'Angleterre, se marier et avoir des enfants comme elle l'avait toujours rêvé. Cependant, Maria Nicolaïevna, la belle et forte jeune femme de 19 ans, qui a rendu son dernier soupire au petit matin du 17 juillet 1918, a été accueillie dans ce monde par une profonde déception et l'a quitté entourée d'une haine qu'elle ne méritait pas.



La Grande-Duchesse Maria Nicolaïevna en 1914.



 



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